La famille de Amin bin Karta

Amin bin Karta, 56 ans
Tasem, 47 ans
Suparsi, 27 ans (absente)
Carmina, 22 ans (absente)
Ojok, 19 ans (absente)
Casdpin, 17 ans
Alisa, 15 ans
Kurnaisih, 14 ans
Kusnadi, 13 ans
Taryono (petit-fils), 8 ans
Dadi bin Amin (gendre), 22 ans 

1 taureau
5 moutons
100 canards de Barbarie
2 autres canards et leurs canetons
1 coq
4 poules et leurs poussins

Kampung Cikundang,
Java 1er Janvier 

La saison pour planter

4 h 00 Le doux bruit des gouttes de la pluie de cette nuit tombant des arbres est soudainement couvert par la voix du baduk déclamant les uduk, prières musulmanes du matin. Tasem se lève et se rend dans la cuisine attenante. Elle s’accroupit devant l’âtre, sur le sol en terre battue, et met le feu à des petites branches sèches. D’ici, elle voit les lampes à pétrole déjà allumées des maisons voisines où vivent deux de ses filles mariées. Pendant la saison de repiquage du riz, tous les membres de la famille louent leurs services chez un fermier et commencent leur journée très tôt. Suparsi et Carmina partent avec leurs maris vers les rizières, au moment où leur soeur de quinze ans, Alisa, qui vit encore chez ses parents avec son mari, entre dans la cuisine et avale en vitesse un bol de riz froid avant de les rejoindre. Ojok, la fille de Tasem âgée de dix-neuf ans, est la seule absente. Divorcée pour la troisième fois, elle suit un apprentissage pour devenir employée de maison en Arabie Saoudite. C’est le seul enfant pour qui Tasem et Amin s’inquiètent un peu, car ils ont entendu toutes sortes d’histoires à propos de domestiques dont on n’a plus jamais entendu parler après leur départ

Amin bin Karta comes out into the wet, muddy yard, lighting his way to the well with a torch. He draws a pail of water to shower before his Amin bin Karta sort dans la cour humide et boueuse, éclairant son chemin vers le puits à l’aide d’une torche . Il tire un seau d’eau pour se doucher avant ses prières. De retour dans la pièce principale de la maison, il se couvre d’un sarong blanc et se coiffe d’un calot de prière. Puis il s’agenouille près du lit où dort son petit-fils, Taryono, fils que Suparsi eut en premières noces. Lorsque sa mère se remaria, voici quatre ans, et déménagea dans la maison voisine avec son nouveau mari, Taryono refusa de les suivre. Amin se prosterne jusqu’au sol, face à La Mecque, répétant mot pour mot les paroles des uduk apprises dans son enfance. Puis il s’assoit sur son lit, roule du tabac dans une feuille de palmier, allume sa cigarette et appelle ses deux fils, Kusnadi et Casdpin, qui dorment dans les couchettes adjacentes à la sienne.

 

Dépourvus de terres

5 h 00 La lumière du jour apparaît, et Tasem secoue du riz sur un plateau de paille tressée pour séparer le bon grain de l’ivraie. Autour d’elle, les quatre poules et leurs poussins guettent ce qui pourrait tomber. Et ce n’est pas par maladresse que Tasem envoie quelques grains au sol mais simplement pour faire plaisir à ses volailles.

6 h 00 Kurnaisih, n’allant en classe que l’après-midi, aide sa mère aux tâches ménagères. Son frère plus âgé, Casdpin, marche jusqu’à la route pour attraper l’autobus qui le mènera à l’école. D’un pas assuré, il foule les talus boueux qui séparent deux rizières. Son pas reflète sa confiance en son avenir. Il s’est inscrit au lycée agricole pour étudier la technologie et la mécanisation de l’agriculture. Son père n’y croit pas : «Le riz sera toujours travaillé à la main.»

La binette sur l’épaule, Amin part pour inonder certaines rizières. En barrant les petits canaux qui sillonnent les champs, il détourne l’eau vers ses terres. Ce système d’irrigation lui permet de faire deux récoltes par an. Au cours de sa vie, Amin a réussi à acheter 1,4 acre de terre, qu’il a divisé en vingt petak (carrés de terre) délimités par des canaux surélevés. Mais cela ne suffisant pas aux besoins de la famille, Amin est, en plus, employé agricole, tout comme ses gendres, dépourvus de terres car il n’y en a plus de disponibles.

13,667 îles et la colonisation

Après le Bangladesh, l’île de Java est la région du monde où la densité de population est la plus forte. Les routes sont bordées de maisons, comme une ville sans fin. Au-delà des constructions, les rizières qui, ce matin, fourmillent: des hommes mènent de maigres boeufs tirant des charrues ; d’autres jettent des bouquets de jeunes pousses aux femmes qui les repiquent, penchées dans l’eau, formant une rangée ondulante de chapeaux de paille. Hommes et femmes travaillent dans la boue et dans l’eau jusqu’aux genoux.

L’Indonésie est composée de 13 667 îles. 60 pour 100 de la population vit sur Bali et Java, les plus fertiles. Le gouvernement, dans le cadre d’un programme de réaménagement, encourage les Indonésiens à s’installer sur d’autres îles encore très boisées. Mais, pour les filles et les gendres d’Amin, c’est un pas difficile à franchir: cela veut dire se séparer de sa famille, de son environnement, et défricher une jungle dense en risquant des attaques de troupeaux d’éléphants, de sangliers, d’ours, de tigres et de serpents. Pour l’instant, les filles ont décidé de rester près de leurs parents. Et elles sont assez résolues pour garder leur mari sous leur emprise.

Son affaire  prospère

Kusnadi part avec ses cent canards bebek et ses cinq moutons. Il a abandonné l’école, et son père ne conteste pas cette décision: «S’il préfère travailler, qu’il travaille!» Et il travaille très bien: il a commencé avec cinq canards, vendu leurs oeufs, fait des économies, acheté d’autres canards, et ainsi de suite. Aujourd’hui, sa petite entreprise prospère. Le père refuse l’argent que lui propose son fils, l’encourageant à investir davantage. Tous les matins, on peut voir Kusnadi marchant joyeusement avec ses canards le long des rizières: les membres de son régiment emplumé le suivent en cherchant des limaces. Le soir, il leur donne du menir, de fins morceaux de riz restant après le battage.

Après un café et du riz accompagné d’une sauce pimentée, Tasem, la mère, passera la matinée dans les champs, comme tout le monde. Elle marche le long des talus en coupant de l’herbe pour le taureau. Elle la dépose en petits tas qu’Amin viendra ramasser et portera dans deux paniers posés en équilibre sur ses épaules. Après avoir nourri le taureau, il rapportera sa bouse au champ comme engrais .

 On consomme le déjeuner – du riz et du poisson avec une sauce épicée – accroupi sur le talus du canal qui irrigue les rizières. Les hommes, avec leurs boeufs, se remettront ensuite à labourer et les femmes à planter.

Payé avec des oeufs

12 h 00 Tasem a coupé l’herbe et sarclé un petak. Elle rentre en cueillant au passage des papayes sur les nombreux arbres fruitiers qui poussent près de leurs terres. Il y a des fruits exotiques : ramboutans, durians, kedongdongs, mais aussi de plus communs tels que des noix de coco, des bananes et des ananas: tous agréables suppléments au régime quotidien de riz et de légumes de saison.

Lorsque Tasem arrive chez elle, sa fille Alisa est assise sur le banc de la cour. La plupart des paysans prennent leur repas de midi assis sur les talus entre des rizières, mais aujourd’hui, Tasem n’était pas loin et a préféré rentrer à la maison. Elle prend juste le temps de se laver, de prier, de s’asseoir par terre pour avaler un bol de riz et de légumes. Près d’elle, Kurnaisih se prépare pour l’école de l’après-midi.

 13h00 Avec quelque appréhension, Tasem se rend au moulin afin d’acheter du son de riz pour les bêtes. Elle entre en silence, longeant le mur: elle n’a pas d’argent liquide et elle proposera au meunier de le payer avec des oeufs. Elle sait qu’il va crier: «Tout le monde veut me donner des oeufs ! J’ai besoin d’argent aussi.» Finalement, il acceptera en disant, comme toujours: «C’est la dernière fois.» La fière Tasem repart, espérant qu’un jour elle n’aura plus à subir ces humiliations.

 

On s’entasse dans la maison d’Amin bin Karta, typiquement javanaise avec son toit de tuiles … Tout comme on s’entasse à Java elle-même. Le fils d’Amin élève tant de canards qu’il a fallu protéger le jardin de treillis.

De plus en plus de viande

 14h00 La pluie de l’après-midi se met à tomber. Tasem décroche les vêtements étendus depuis deux jours. Avec un peu de chance, ils sécheront demain. Puis elle s’accroupit dans la cuisine et commence la préparation du dîner. Avec une citrouille, de la noix de coco et des piments très forts, elle mitonne l’accompagnement pour le riz du soir. Actuellement, le riz ne manque pas et on peut avoir du poulet et de la viande de plus en plus souvent. Il n’en a pas toujours été ainsi: Amin et Tasem se souviennent du temps où manger un petit morceau de viande était un événement de taille! À l’époque, le pays ne produisait même pas assez de riz pour nourrir toute la population. Aujourd’hui, les fils d’Amin mangent plus que lui au même âge, et il est fier de les voir, comme tous ceux de leur génération, devenir de grands et solides gaillards.

16h00 La pluie a cessé. Après une petite sieste, Amin repart pour labourer son petit jardin de manioc. Avant le coucher du soleil, il passe dans un petak pour sarcler un rang de riz puis, sur le chemin du retour, vérifie ses plantations, guettant la première tige de riz : les paysans disent que la moisson commence quarante jours après son apparition.

Éloigner le fantôme

 18h30 Tasem et Kusnadi doivent donner aux canards des gruaux de riz et de l’herbe: ils seront les derniers à s’asseoir sur la natte, pour manger. On parle peu pendant le dîner, car tout le monde écoute à la radio un programme du gouvernement donnant des conseils aux agriculteurs. Cette année, la récolte de riz est menacée par un insecte qui risque de détruire la moitié de la production. Kurnaisih préfère aller regarder la télévision dans l’une des deux maisons de Cikundang qui en sont équipées. Ici, les gens ne peuvent même pas payer l’installation de l’électricité, alors ne parlons pas de télévision …

20h45 Puisqu’il n’y a pas électricité et que l’heure des prières du matin sonne si tôt, il ne reste plus qu’à dormir. Au son de la radio ils s’endorment paisiblement. Dans un coin, une lampe à huile reste allumée .. . , elle éloignera les fantômes

 

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C’est une aventure, c’est un éveil est c’est humain