Paraguay

Province de Paraguari. Tiré par une coco à vapeur chauffée au bois, le train met six heures pour parcourir les cent kilomètres qui séparent la capitale du village de Caballero. Il faut en plus une heure de marche (ou une demi-heure de cheval) sur une route ravinée par des pluies fréquentes et torrentielles, pour arriver enfin chez les Burges. Une maison où les jours et les nuits sont scandés par les cris d’Aldo réclamant son biberon. 

5 heures. Siméon traverse la terrasse pour se rendre à la cuisine et allumer le poêle à bois. Aussi rapide que lui, les deux canards, les cinq pintades, les vingt poules, les trois cochons, les deux chats et le chien se retrouvent bruyamment devant la porte. Ils connaissent la routine. Le feu de bois pris, Siméon sort couper à grand coups de machette des morceaux de canne à sucre. Alors toute la basse-cour entre en folie…A les voir se disputer cette pitance, difficile de croire qu’il y’ait au monde meilleur petit déjeuner. 

Les dix hectares de terre que Siméon cultive avec deux de ses frères appartiennent à son père. A trois, ils se partagent le produit des récoltes. Une petite parcelle est réservée au seul usage d’une famille. Siméon s’inquiète de ace qui arrivera après la mort de son père déjà âgé: en tout ils sont sept frères. La propriété sera-t-elle divisée entre eux tous? Si oui, Siméon n’aura plus assez de terre pour nourrir Catalina et les enfants. Et sa seule ressource supplémentaire lui est fournie par le bois qu’il vent l’hiver. Peut-être faudra-t-il envisager d’aller travailler à la ville. Siméon a déjà quitté sa famille à plusieurs reprises pour s’engager sur des chantiers de construction. C’est ainsi qu’il a pu acheter les matériaux nécessaires à la construction de sa petite maison (60m2).

6 heures 30.  Bébé Aldo sur la hanche, Catalina entre dans la cuisine pour préparer le mate*. Ce sont les vacances scolaires d’hiver et rien n’empêche Liz, Edgar et Alfredo de paresser. Pourtant, des quatre coins du lit, émergent trois minois: l’odeur du mate au lait est irrésistible. Leur voisin et son attelage à boeufs passent devant la maison. Pour Siméon, c’est le signal qu’il doit seller son cheval et aller rejoindre son frère pour le labour des champs de manioc. 

7 heures 30. La petite Liz nettoie la cour souillée pour les animaux et égalise le sable devant la terrasse. D’un coup de seau d’eau, elle lave les toilettes, simple trou cimenté, dissimulé par des cannes, derrière la maison. Liz prend déjà au sérieux son rôle de femme. Elle pourrait presque tenir seule la maison. en l’absence de sa mère, elle s’entraine, garde le bébé, donne des ordres ou réprimande ses frères. 

Catalina est allée traire la vache dans la ferme de ses beaux-parents. En passant, elle surveille la cuisson du déjeuner de ses deux célibataires e beaux-frères. Leurs parents se sont récemment installés au village pour être plus près du dispensaire médical. Ils n’ont plus leur mère pour les couver et, comme dit Catalina: «Deux hommes seuls, ça ne sait pas prendre soin d’une maison.»

Le veau a bu sa part et a laissé à Catalina tout juste de quoi remplir son pot de lait pour la ration quotidienne du bébé. Elle revient tranquillement dans les champs et contemple de loin sa maison. «Comme est belle, ma maison!» dit-elle. Une jolie maison suscite une grande fierté au Paraguay et on lui refait régulièrement une beauté. Peinture ou chaux selon les moyens. 

9 heures.  Près du puits, Catalina bat la lessive, tandis que Liz rince et étend le linge au soleil. Bébé Aldo dort et Alfredo s’amuse à empêcher les cochons d’entrer dans la cuisine. Les poules, elles, y sont admises: on leur a installé un coin de paille où elles pondent. Edgar, comme. toujours, a disparu. Il est allé passer la journée chez sa grand-mère Guerrero à dix minutes de là.  Sur la route, il s’arrête à plusieurs reprises: dans chaque maison du voisinage vit un oncle, une tante ou un cousin. 

11 heures.  Bébé est réveillé, mais Liz n’arrive pas à le calmer. Maman vient à la rescousse. Une petite maison, une caresse maternelle et le tour est joué. Il est l’heure de préparer le déjeuner. L’année dernière, elle faisait la cuisine sur un foyer à même le sol. Mais, heureusement, grâce à un programme de développement agricole, elle a bénéficié (ainsi que plusieurs familles de la région) d’un crédit et pu acheter un poêle à vois. Catalina a suivi des cours de cuisine gratuits au village. Maintenant, elle prend davantage de plaisir à préparer les re pas. Bien sûr, ce serait mieux si la cuisine était confortable: pour l’instant, le sol est en terre battue, les murs à la mi-hauteur sont faits de planches non équarries, sauf celui, côté sud, qui est en cannes et laisse passer une jolie lumière. Mais un mûr coûte 7000 pesos. Peut-être quand Siméon ira travailler à la ville…

12 heures. Siméon revient des champs à cheval. Après l’avoir dessellé, il l’attache à l’ombre et part avec le petit Alfredo bavarder chez ses cousins. Catalina garde son repas au chaud: son mari reviendra quand bon lui semble. Elle déjeune avec Liz: riz au boeuf et aux perches accompagné de manioc en guise de pain. 

13 heures 15. Enfin de retour, Siméon et Alfredo attendent à table que Catalina les serve. Les butes sont à l’affût de la moindre miette, et les pintades, surtout, font un vacarme insupportable. A l’aide dune perche, Liz décroche un pamplemousse dundees arbres, pour le dessert. 

Après le déjeuner, Siméon selle le cheval pour Catalina, qui va faire vacciner Aldo au village. Comme tous, ici, Catalina  sait monter depuis son plus jeune âge.  Le trot endroit le petit Aldo, futur cavalier lui aussi.  En traversant le village, elle arrête sa monture pour bavarder avec une cousine, puis avec ses beaux-parents et, plus loin, avec une belle-soeur. Enfin elle arrive au centre de santé communautaire.

Tout en surveillant les enfants d’un oeil, Siméon bêche le jardin. Les pluies on récemment causé des inondations: il a un besoin urgent d’entretien. Herbes aromatiques, oignons et salades sont à point. Bientôt, ce sera au tour des carottes, des choux et des tomates. Difficile de modifier les tardions culinaires du pays; le manioc reste l’aliment de base, mais le ministère tente d’introduire les légumes dans l’alimentation familiale pur une meilleur diététique. Siméon a donc appris le jardinage au village. 

16 heures. Quand Catalina arrive à la maison, les enfants ont déjà fait leur toilette et jouent aux billes dans la cour. Alfredo accapare le cheval, son ami et sa passion. Il le désentrave, lui apporte des feuilles de cocotier. Siméon peut maintenant aller boire le terere* avec les copains. Catalina égrène un épis de maïs séché pour les poules. Quand, à 5 heures, elle entre dans sa cuisine, il fait déjà nuit. La lueur du poêle éclaire vaguement les objets. «Ce sera tout de même plus agréable l’an prochain quand nous aurons l’électricité!» Au village de Caballero, ils l’ont déjà, mais ici les fermiers n’ont pas fini de réunir la somme nécessaire pour payer l’installation. 

18 heures. Siméon revient et l’ambiance de la maison change. Siméon, c’est le chef. Il n’aime pas les cris nos les chamailleries. Il veut que sa femme et ses enfants soient propres et clames. Catalina se plie volontier à son autorité de macho. «Mon mai, il n’est pas comme les autres. Il est gentil avec moi et les enfants.» Siméon se distingue des hommes du pays qui ont l’habitude de prendre plusieurs femmes à la fois.  (La guerre de la Triple Alliance en 1970 qui décima les quatre cinquièmes de la population mâle et la guerre du Chaco de 1932 ont causé une grande disparité de la population hommes-femmes.) 

Siméon allume la lampe à acétylène, fait sa toilette pendant que les enfants mangent l’omelette et la salade de haricots noirs. Puis les petits  laissent la place aux parents qui s’attardent à table en bavardant.

21 heures. Catalina pose près du lit le thermos de lait chaud et les langes pour la nuit du bébé. Dans le lit voisin, les enfants dorment serrés comme des chiots. Aldo ne réclamera son biberon que dans quelques heures. Profitons-en pour dormir.