LA FAMILLE WADE

Wilson Dery Wade (Parks), 36 ans 
Leone Margaret Flowers (Maggy), 30 ans 
Curtis Antony Wade, 14 ans 
Wilson Leroy (Didi), 11 ans 
Erwin Ernesto (Winy), 12 ans 
Oscar Alexander, 10 ans
Allan James, 4 ans

11 poulets et dindes
2 canards
3 cochons
3 chiens
2 chevaux

Crooked Tree
Le 6 décembre

Le grand rêve une vrai maison

5 heures. Wilson Dery Wade, surnommé Parks, se lève, s’habille et sort de la chambre, unique pièce de la minuscule maison. Ils y dorment tous les sept. Allan, le petit dernier, couche avec ses parents. Les quatre autres garçons sont tête-bêche dans un lit superposé, dissimulé par un rideau.

Maggy accompagne son mari à la cuisine. C’est une autre petite maisonnette coiffée de chaume. Parks grignotera en chemin les petits pains confectionnés par sa femme. Il saute dans sa barque pour traverser le lac qui sépare le village de Crooked Tree. Près de lui, sa carabine, au cas où il apercevrait des oiseaux sauvages pendant son trajet. Une fois sur la route, le camion de ramassage l’emmènera jusqu’à la propriété de son patron.

Il y a treize ans que les Wade habitent ce demi-acre* de terre à plus d’une heure de bus de Belize City. Ils ont démoli la vieille baraque délabrée qui s’y trouvait, et se sont servis des matériaux pour construire les deux huttes. Leur grand rêve, c’est une vraie maison en parpaings qui n’aurait plus jamais besoin de réparations. Mais ce n’est pas pour cette année. Il faudra attendre que les arbres fruitiers soient rentables.

Pour quelques dollars, Parks loue vingt acres de terre au gouvernement, plantés de pins, de chênes~t de noyers. Il a ajouté des arbres fruitiers, en particulier des agrumes, des aréquiers et des cocotiers. Actuellement, seule la vente du bois et du cachou lui rapporte un peu d’argent. Aussi Parks est-il encore obligé de travailler comme ouvrier agricole.

 

“Eh, man!”

6 heures. Dès le départ de son mari, Maggy s’est recouchée. De son lit, elle hèle les garçons pour qu’ils se lèvent. Chacun doit accomplir sa tâche. Curtis coupe le bois et allume le feu. Didi et Wini font trois aller-retour à la fontaine publique. Ils en reviennent chaque fois avec un seau de vingt litres sur leur tête. Pendant ce temps, Oscar balaie autour de la maison la terre sablonneuse, souillée par les bêtes, et lave les latrines au fond du jardin. Les garçons sont disciplinés . Ils ne remettent pas en question le programme soigneusement minuté par leur maman. Il suffit à Maggy de dire : Eh man ! d’un ton qui n’admet pas de réplique pour que toute la marmaille soit au garde-à-vous .

“Tu peux te lever maintenant, Mum”

6 heures 45. « Maman, tu peux te lever maintenant. » La maison est propre. Le chocolat chauffe sur le feu de bois. Maggy n’utilise pas la cuisinière à gaz, le butane est trop cher. Elle dispose le pain et le chocolat du petit déjeuner sur la table, tandis que Winy lave, dans un seau, la vaisselle de la veille, et la met à sécher sur une planche. Maggy a tapissé les murs de bambou de pages de magazines, racontant la vie des stars – un rappel constant du rêve américain auquel aspirent tous les Béliziens.

Heureusement, les pieds nus sont admis

7 heures 30. Maggy doit insister pour que ses fils s’habillent. Quand on passe sa vie torse nu, c’est une corvée de mettre une chemise. Mais, pour aller à l’école, impossible de s’en dispenser. Heureusement, les pieds nus sont admis … Les fils Wade sont un peu comme leur père, ils préfèrent le sport et le jeu aux études . Ils se dépêchent d’emprunter le chemin sablonneux qui serpente entre les maisons disséminées de Crooked Tree, car, ce matin, ils ne sont pas en avance. Maggy, qui n’a ni montre ni radio, se fie à la position du soleil. Cë matin, elle s’est quelque peu trompée.

L’école est une grande salle en bois où les classes sont séparées par des paravents. Elles sont de moins en moins peuplées : la planification des naissances commence à montrer ses effets. S’y ajoute une forte migration vers la ville ou vers l’étranger.

 

 

Ils iront faire fortune ailleurs

Voilà Maggy seule, et tranquille. Le matin, souvent, elle va à la pêche, mais, aujourd’hui, elle fait la lessive à l’ombre d’un arbre. Sur une planche à laver, elle frotte la terre qui macule les pantalons de ses fils, puis laisse tremper son linge dans une bassine. Elle va préparer poisson pour les chiens. Avec les oranges, c’est leur nourriture préférée. Les cochons, eux, préfèrent les pamplemousses :justement, en voilà un qui s’acharne à grands coups d’épaule sur le tronc d’un pamplemoussier, pour en décrocher un.

Quelques jeunes gens du village passent, cueillent un fruit, bavardent un peu et vont flâner au bord de l’eau. Pas de travail pour eux à Crooked Tree et guère plus à Belize City. Ils aimeraient bien obtenir un visa pour rejoindre leurs familles déjà installées aux USA, mais les portes de l’Amérique s’ouvrent de moins en moins facilement.

Les fils de Maggy ne manquent jamais de lui rappeler que, lorsqu’ils seront grands, ils ont bien l’intention de ne pas végéter ici, mais d’aller faire fortune dans un monde plus riche. Petit à petit, Maggy se fait à l’idée de les voir un jour la quitter. 

« J’avoir onze enfants »

9 heures. Le petit Allan s’est sauvé du jardin d’enfants où il est inscrit depuis le début de l’année. Petit dernier et enfant gâté, il accepte mal de se séparer de sa mère. Allan, c’est le romantique. Il sait ce qu’il faut dire et faire pour attendrir sa mère : « Donne-moi ça ! Si moi j’étais la maman et toi, tu étais le bébé, je te le donnerais. » Et Maggy succombe. Maggy adore les enfants et aurait aimé en avoir onze comme sa mère. Mais les temps sont trop difficiles pour assumer une telle charge. « Pas question d’avoir un sixième enfant, la maison est si petite qu’il n’y a même pas de place pour une poupée. »

Midi. Le déjeuner des écoliers est frugal. Un grand bol d’eau chaude teintée de café et enrichie de lait concentré, une portion de poisson et deux petits pains. Avant de retourner à l’école, les garçons font une nouvelle corvée d’eau. Pas besoin d’eau potable pour la lessive, il suffit donc d’aller au lac, moins éloigné que la fontaine publique.

Lire les romances Harlequin 

14 heures. Maggy poursuit sereinement sa journée. L’après-midi, elle aime bien retrouver son lit, pas pour dormir, mais pour lire un peu. Elle possède de nombreux romans d’amour de la collection « Harlequin ». Quand l’un de ses voisins va en ville, elle le charge de lui en trouver un d’occasion. Aujourd’hui, les amoureux de l’histoire de son livre l’emmènent en Égypte. « C’est ma façon à moi de m’évader et devoyager un peu », dit-elle. Allan se blottit contre sa mère et lui susurre avant de s’endormir « Laisse-moi d’abord mordre tes lèvres. »

16 heures. Maggy ne pose son livre que lorsqu’elle entend la voix des enfants sur le chemin. Il est temps de préparer le pain quotidien. Curtis alimente le feu de grosses bûches pour que la braise soit abondante. Pendant ce temps, ses frères gaulent deux noix de coco dont Maggy râpera et pressera la chair pour en extraire le lait. Dans un grand plat de plastique, elle verse la farine, la graisse et le lait de coco. Elle a le coup de main : en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la pâte est malaxée et roulée en boule. Elle n’a plus qu’à reposer.

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Maggy a inventé son propre four

Didi nourrit les volailles avec les restes de coco râpés. Armé d’un bâton, Allan repousse les cochons et les chiens qui voudraient s’en emparer. Curtis, Winy et leurs copains font une partie de foot sur le terrain devant la maison. Parks arrive et s’assied sur le seuil de la porte, sa carabine entre les genoux. Il arbitre la partie tout en guettant le passage des pigeons sauvages.

17 heures. La braise est rougeoyante à souhait. Sous l’abri de palme, Maggy s’affaire. Elle aplatit la pâte, en fait des galettes qu’elle pose sur le fond d’un chaudron. Elle le recouvre d’un plat de terre rempli d’une couche de braise : Maggy a inventé un four efficace. Les petits pains seront dorés et croustillants.

Deux petites huttes coiffées de chaume : 12 m2  pour la chambre,12 m2 pour la cuisine. Le grand rêve, c’est une vraie maison en parpaings.

Partir au clair de lune

17 heures 30. Déjà le crépuscule :des milliers de lucioles virevoltent autour de la maison. Dans la cuisine, le père et ses fils attendent impatiemment que Maggy leur serve le pigeon sauvage abattu par Parks et deux morceaux de bon pain frais.

19 heures. Maggy et Parks mettent les enfants au lit. Un peu de chahut, quelques batailles de polochons et le sommeil a finalement raison de leur exubérance. Le couple en profite pour partir au clair de lune. Ils vont regarder la télé chez un voisin. A Crooked Tree, il n’y a pas d’électricité, mais le poste de télévision fonctionne sur batterie. Bien sûr, il vient des USA. C’est un cadeau de ceux qui ont pu émigrer làbas. Objet si rare qu’il regroupe ce soir trente personnes. Elles regardent d’un oeil neuf un très vieux feuilleton qui a déjà beaucoup roulé sa bosse en Amérique.

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