LA FAMILLE GARCIA HERNANDEZ

Sixto Hernandez, 44 ans
Mar[a Ca tan ina Garcids Hernandez, 34 ans 
Reyes Hernandez, 16 ans 
Alfredo, 14 ans 
Gerardo, 10 ans
Francisco, 8 ans
Angélica, 6 ans
Pascuala, 2 ans 1/2

2 poules
6 dindons
1 cochon
3 vaches
4 canards
1 chien

TANCUILIN
Le 25 septembre, 1984

Pour assurer leur éducation, il travaille d’arrachepied

 5 heures. La petite Pascuala se réveille : envie de faire pipi. Dans le noir, Catanina cherche à tâtons, sur le sol, la lampe de poche. Elle allume et accompagne sa fille qui s’accroupit dehors, près de la porte. Tout ce remue-ménage a réveillé la maisonnée avant que le coq ait eu le temps d’accomplir son devoir quotidien. Les garçons, allongés en rang d’oignons à même le sol de la cuisine, s’agitent. Reyes, l’aîné, se lève, rassemble des brindilles de bois entre les trois pierres qui forment l’âtre. Il allume le feu, pose la casserole et se recouche. La petite maison de bambou des Gardas Hernandez est perchée sur les flancs verdoyants des montagnes tropicales de la Huasteca, au centre du Mexique. Un sentier de terre se faufile de la maison jusqu’à la route principale, à travers les orangeraies. Les deux aînés l’empruntent tous les matins: Alfredo à pied vers Chipolco, où il fait ses études secondaires ; Reyes, lui, descend sur sa vieille bicyclette brinquebalante et sans frein pour aller au collège technique de Halpila. 

6 heures 30. Après avoir pris le café avec eux, Sixto regarde avec fierté ses fils partir. Pour assurer leur éducation, il travaille d’arrachepied. Sur ses terres, il cultive du maïs, du café, des avocats et des bananes pour la consommation familiale, des oranges pour la vente. Afin d’arrondir les fins de mois, Sixto se loue chez les grands propriétaires deux jours par semaine : il nettoie à coups de machette les domaines privés ou le bord des routes nationales. « La récolte des oranges exige beaucoup d’efforts pour peu de profits, constate Sixto. Je ne comprends pas, tout ce que j’achète coûte de plus en plus cher et pourtant je ne reçois jamais plus d’argent pour mes oranges. » Sa machette à la main, Sixto grimpe dans la montagne et rejoint des hommes des environs dans la cour de l’école primaire, pour la journée hebdomadaire consacrée à la communauté. Ce matin, les uns préparent le torchis, les autres comblent les trous des murs d’une des salles de classe. Bientôt Gerardo et Francisco suivront leur père, mais, avant le début des cours, ils apporteront de l’eau aux trois vaches qui broutent dans un petit pâturage, entouré d’orangers.

Elle a refusé d’aller à l’école des petits. « Je m’y ennuie »

8 heures. La petite dernière, Pascuala, suit pas à pas sa mère partout dans la maison en imitant ses gestes de ménagère. Aujourd’hui, elle a refusé d’aller à l’école des petits. « Je m’y ennuie », et Catanina, toujours douce et patiente, n’a pas voulu contrarier sa fille. Une amie de la famille fait halte à la maison. Elle vient de marcher deux heures pour accompagner ses deux nièces du hameau et attendra la fin des cours chez Catanina avant de prendre le chemin du retour vers la montagne. Elle s’assied aux côtés de Pascuala et l’aide à nettoyer les haricots.

8 heures 40. La cloche de l’école retentit, à quelques centaines de mètres. Catanina appelle Angelica pour lui nouer les cheveux. Puis, comme tous les jours, elle inspecte attentivement sa fille, ses mains, ses cheveux, ses vêtements. Angelica n’aura aucune crainte à avoir quand les professeurs passeront en revue la propreté de leurs élèves. La voilà qui rejoint les écoliers sur le sentier devenu glissant : une pluie fine s’est mise à tomber. Les enfants se mettent en rang dans la cour de l’école. Une seule classe pour les grands, surchargée : une soixantaine d’élèves . Deux classes pour les petits, moins pleines heureusement.

10 heures. Catanina étale la pâte de maïs sur la pierre plate. Ainsi elle sera lisse et les tortillas moelleuses . Elle pourrait utiliser la presse pour les étaler, mais Sixto préfère les bonnes vraies tortillas, faites à la main. Ce sont les meilleures ! Catanina lui donne raison. La cuisine, aux murs de canne noircis par la fumée, embaume le bois brûlé. A cette odeur s’ajoute celle, appétissante, des haricots qui mijotent sur le feu. Aujourd’hui, Catanina fera une omelette avec les champignons cueillis dans les bois par son amie, sur le chemin de l’école. La mère et la fille préparent le repas en bavardant. Chaque jour, Pascuala découvre des  mots nouveaux espagnols ou nahuatl, sa langue natale. Son babillage maladroit et drôle amuse toujours Catanina, qui éclate de rire, en se tenant le ventre où bouge déjà le prochain enfant. 

 

10 heures 30. La cloche sonne, annonçant la récréation et le déjeuner. Les enfants descendent la montagne, en courant sous la pluie. Dans chaque maison, riz et haricots les attendent. Les quatre petits Gardas Hernandez mangent avec appétit et repartent aussitôt. 

11 heures 30. Avec sa lenteur et son calme coutumiers, Catanina dénoue ses longs cheveux et les coiffe avec un peigne fin. La pluie torrentielle brise le silence de la maison. Les canards s’agglutinent sur le pas de la porte tandis que les poules s’abritent à l’intérieur. Elles profitent de cette visite pour picorer les grains de maïs tombés sur le sol. Heure paisible … Sixto rentre et s’assied devant l’unique table, si basse qu’il ne peut y glisser ses genoux. Lui faisant face, Pascuala boit le jus des haricots noirs, et poursuit ses discours. Sixto, d’habitude si réservé, ne résiste pas au charme de l’enfant :c’est en s’esclaffant qu’il part pour une réunion présidée par le médecin du dispensaire régional. Une fois encore, celui-ci va essayer de convaincre les paysans du hameau d’être plus attentifs à la santé de leur famille et de ne pas hésiter à venir le voir au dispensaire s’ils en sentent le besoin. Le directeur de l’école, quant à lui, rappellera que l’école est obligatoire et que trop souvent les enfants travaillent aux champs au lieu d’être en classe. 

13 heures. L’école est finie. Les enfants déboulent sur le sentier boueux en poussant des cris. Aussitôt, Gerardo et Francisco remontent au pâturage pour traire les vaches. Ils ramènent un pot de lait que Catanina vendra aux voisines. Angelica, elle, descend chercher de l’eau à la rivière. Elle revient un seau sur la tête et un autre à la main, et pose sa lourde charge près de sa mère qui réchauffe les haricots pour les deux aînés revenus tout juste de l’école. 

15 heures. Catanina part à la rivière avec ses enfants. Elle fait la lessive, toujours imitée par Pascuala. Angelica lave le maïs pour les tortillas de demain, pendant que les garçons chahutent. Ils se savonnent, puis plongent pour un bon rinçage … A cette heure, le bord de l’eau grouille de monde : la plupart des familles du hameau s’y retrouvent. La pente de la rivière est forte, l’eau abondante. Sur leurs petites barques, les paysans de l’autre rive la traversent à grand-peine. Ils viennent au petit magasin général acheter du riz et des haricots et refont avec autant de difficultés le chemin inverse pour regagner les montagnes où ils vivent dans un isolement presque total.

16 heures 30. Tout le monde est propre. En remontant à la maison, les filles portent la lessive et le maïs, les garçons un seau d’eau chacun. On ne revient jamais de la rivière les mains vides.

17 heures 30. Derrière la maison, Reyes coupe du bois pour la cuisine. Alfredo et Gerardo se relayent à la moulinette pour écraser le maïs cuit et en faire de la pâte pour les tortillas du dîner. De temps à autre, ils jettent une poignée de maïs aux poules et à Mariposa, la maigre chienne, qui guettent chacun de leurs gestes. Catanina étend sa lessive, espérant que la pluie ne va pas se remettre à tomber. Angelica lui passe le linge en serinant sans cesse les mêmes paroles du refrain d’un cantique appris à l’école. Gracias a Dios (Merci mon Dieu), dit la chanson.

18 heures 15. A peine les tortillas et les oeufs sont-ils cuits qu’une assiette se tend. Il fait nuit quand Catanina peut enfin s’asseoir et manger sa part. Par souci d’économie, on n’allume pas la bougie. Les yeux s’habituent peu à peu à l’obscurité. Dans le noir, on distingue à peine les ombres ramassées sur des chaises lilliputiennes. La conversation ne s’arrête pas pour autant. Seul le timbre de la voix permet de reconnaître qui parle.

19 heures 30. A tâtons, Catanina installe les nattes et couvertures sur le sol bétonné de la chambre. Elle y dort avec Sixto et ses deux filles. Les garçons préfèrent la fraîcheur du sol de terre battue de la cuisine. Ils écoutent la radio aux piles défaillantes, discutent et s’esclaffent bruyamment pendant une demiheure encore. Pascuala, allongée près de sa mère, s’agite dans son sommeil. D’une voix calme, Catanina réclame le silence. Tout le monde obéit sans rouspéter. 

Informations / pays

C’est une aventure, c’est un éveil est c’est humain